Les experts en sinistre

Les experts en sinistre, dans le cadre du Festival d'arts performatifs de Trois-Rivières, transformait l'espace de la performance en lieu de rencontres avec d'autres artistes et des membres du public avec lesquels je n'avais jamais collaboré. Ma motivation était de construire une structure qui laisse la place à l'imprévu tout en portant attention à la complicité qui nous unissait.La sculpture collective - ou le devenir monument - comme hommage aux lieux de transit qui deviennent des lieux de rencontres. J'ai récolté les témoignages des participant.es pour jeter un œil sur ce qu'il se trouvait à l'intérieur des boîtes, des corps et des bagages.

Claudine Lacroix

«D'abord, j'avais envie d'être un espèce de pilier, de point de repère momentané.

Finalement je me suis sentie comme le pilier de la structure, j'ai regardé au loin comme le mât d'un bateau : souvent sévère, parfois amusée, parfois en question.

Je ne pouvais qu'être témoin, mais en gardant le souffle ouvert et les yeux fermés, je me sentais comme si je pouvais intégrer une intériorité dans l'espace vide des boîtes.

Vous voir vous affairer à construire, manipuler, peindre, déplacer... c'était comme une hâte de déménager qui n'en finissait plus. Je n'ai pas l'impression qu'on est arrivés chez nous, mais j'ai l'impression qu'on a pu arriver à être satisfaits juste d'être nous.

Merci pour ce rôle vif et statique. »

Marie Filiatrault

« (...) tes vêtements aux teintes semblables mais tellement nuancées, en même temps.
étaient des étrangers.

ils étaient les corps vides d'une société vide d'une planète vide et étrangère.... et pas si étrangère, en même temps.

des extensions de nos peaux, de ma propre peau, étaient étendues par terre.....

je te regardais étendre tout ça au sol, m'imaginant l'amour que tu portes pour chacune de ces pièces textiles... tellement étranges. voire absurdes.

puis les boîtes.

les affaires que l'on traîne avec nous... ces choses que tu traînes de logements en logements, de performances en performances, depuis un moment... déballés, là, une énième fois....

puis Lucas, qui arrive en peintre immobilier au chômage, qui a à nourrir son enfant dépressif avec des jobines payées au noir.... bizarrement froid et bizarrement touchant.

puis toi, qui te transformais en mi-jeune mi-à-la-mode femme voulant avoir du style, un peu insouciante de la profondeur du monde.... mais grande et forte à la fois...

le beige a opéré, il vous a transformé tellement vite en humain-es d'une société sans repère pour moi.... derrière les buissons, je voyais ce début de construction de micro-ville avec la yeule à terre.... et la peur de ce beige plus vibrante qu'avant.



(...) une fois approchée

une fois ma première boîte de carton touchée...

j'ai su que ç'en était fini, du charbon et du noir et de l'anarchie.

j'ai plongé en enfant dans les décombres de cette vieille-neuve ville, sérieuse mais ridicule, et ce fût la résilience qui m'a prise, en une ou deux bouchées.

de l'intérieur, j'ai cherché un repère, un morceau de lingerie beige, un peu scintillant, m'a parlé... et, en oubliant l'action autour... j'ai pu le trouver beau, ce morceau de beige.

l'apaisement dû à cette matière a remplacé la tristesse

et ce top de lingerie très beau fût le lien, le pont, avec les humain-es qui étaient autour: vous.

j'ai regardé Claudine, dont le visage était beige et ensoleillant,

j'ai regardé Julie, dont le corps était était et ample sculpture féminine.

et, avec le lien de l'humanité, avec la passion relationnelle de cette couleur mystérieuse,

j'ai pu mettre les mains dans la peinture.

je faisais partie du clan, maintenant,

et, pourtant, j'étais toujours moi,

et chacun-e de vous étiez toujours vous

plus uniques, humbles, humbles humain-es, uniques humanités faisant partie d'un tout.... un tout ni blanc, ni noir, ni bien, ni mal... juste comme ça... sans jugement.... une humanité ''juste comme ça''.

une couleur ''juste comme ça''.

une ville, un déménagement, une ville comme il en existe milles..... ''juste comme ça''.»

Lucas Blais-Gamache

« J’ai bien aimé prendre part à la chose pour découvrir un certain intérêt de performer. J’étais plutôt concentré pendant la perf. un peu dans ma bulle. J’ai bien aimé que le ton soit léger et qu’on s’affaire tous à un projet sans objectif. Belle construction ! Le beige m’a donné une drôle de sensation de calme ahah! »


Hugo Nadeau
« Comme performeur, je me bâtis lentement une éthique du spectateur de performance dans ma tête, que je nourris en voyant de plus en plus de perfs... Il y a donc clairement des trucs "à ne pas faire" que je m'interdis à moi-même de plus en plus consciemment et qui m'horripilent quand je vois d'autres gens les faire... Parmi ces choses là il y a : "Participer à la perf sans avoir été sollicité.e, ne pas faire confiance au.à la performeur.se pour prendre en charge sa propre sécurité, être sollicité.e à participer et faire autre chose que ce qu'on nous a proposé juste parce que ça nous tente ou tente pas". L'espèce de monsieur problématique qui gossait tout le monde a dépassé bien de mes limites, ce qui fait que quand il s'est mis à prendre la cravate et non les vêtements après que tu aies proposé à une personne de participer, ça a vraiment heurté mes principes et je me suis dit que je devais faire quelque chose. J'ai cherché à trouver un geste qui allait dans le sens de ta perf et qui prenait en compte publiquement ce qu'il venait de faire, alors ce que j'ai trouvé c'est de mettre les vêtements et de "réclamer" publiquement le cadeau de cravate que tu avais annoncé. C'était juste ce geste là que je voulais faire, mais évidemment après j'étais pris pour participer haha!


Un autre de mes "principes de spectateur participant à une perf" est bien entendu de pas essayer de "voler la vedette" du.de la performeur.se une fois qu'on s'est fait passer une tribune. Ça serait méchamment nul à mon sens. Je me suis donc engagé dans une action répétitive d'"assistance" tout de suite en réfléchissant tranquillement à des actions intéressantes à faire, mais pas en faisant n'importe quoi qui a pas rapport. Je me suis donc contenté de faire des boîtes, lancer des boîtes un peu, taper des gens qui essayaient visiblement de devenir un genre de monument, mais rien de super extravagant. J'ai eu l'idée que tu me peignes la cravate aussi parce que je trouvais que ça allait dans le sens de la perf.»



Pascale St-Pierre
« La performance « les experts en sinistres» s’est d’abord établie pour moi comme une fabrique à monotonie. j’ai ressenti un profond malaise en observant les boîtes s’empiler machinalement, les morceaux d’intimité se faire complètement ensevelir pour devenir une grande construction beige. j’ai beaucoup hésité avant d’entrer. je me disais « non, je ne pourrais pas participer à cette action tellement triste! » Je ressentais que si je participais, j’encourageais ce exactement contre quoi je me bats chaque jour. Et puis, je me suis dit pourquoi pas. Pourquoi pas en profiter, de cette belle occasion de manifester le monotone sans avoir trop de répercussions néfastes? Et j’avoue avoir été très curieuse de ce qui pourrait arriver une fois dans le jeu. 

Sur un coup d’adrénaline, je me suis empressée de retirer mon manteau pour enfiler le premier que j’ai vu : pas de réelle prise de décision ici ; juste un coup de tête. J’avais la chanson de Bernard Adamus « Brun » qui me jouait dans tête mais avec beige plutôt que brun... Étrange, ce soir-là, je ne me rendais même pas compte que j’avais changé les paroles. Et de le chanter de façon répétitive en peignant me faisait sentir à la fois de plus en plus monotone et de plus en plus revendicatrice de sens. J’essayais peut-être de me convaincre que le geste que je faisais - peindre des boîtes beiges en beige -en le sentant destructeur, était plutôt créateur d’amour ... 


J’en suis sortie avec un étrange sentiment de solidarité. Sans dire trop de mots, tout le monde bougeait simultanément dans un but flou mais concis. Je me sentais comme si pour un instant, j’avais participé à la société moderne. En enlevant le manteau, j’ai été soulagée de ce rôle.»